J’attendais avec impatience le dernier film de Pedro Almodovar, Madres Paralelas. J’avais été totalement séduite par Douleur et Gloire, son dernier film. Ma curiosité avait été piquée par les nombreuses critiques élogieuses qui qualifiaient Madres Paralelas comme « Le meilleur Almodovar depuis longtemps ». Je m’efforce, pourtant, à ne pas avoir d’attentes précises avant de voir un film car je finis toujours par être déçue. Madres Paralelas n’a pas fait figure d’exception.

Pour faire une présentation rapide du film, Madres Paralelas s’ouvre sur l’histoire de Janis, une photographe d’une quarantaine d’années qui cherche à retrouver les restes de son arrière-grand-père grâce à la fouille d’une fosse commune. Son arrière-grand-père fut une victime du franquisme et le travail mémoriel de tout un village tente de le réhabiliter pour lui offrir une sépulture digne. 

Cette histoire mémorielle, greffée à une histoire de maternité et d’amour, intervient alors que l’Espagne est divisée depuis longtemps sur un projet de loi mémoriel qui date de 2006. Cette quête est filmée avec justesse et gravité par Pedro Almodovar. La scène finale est l’apothéose de cette quête qui obsède Penélope Cruz durant tout le film.

Almodovar aborde, pour la première fois de sa carrière, le devoir de mémoire sur la question du franquisme. Le traitement qu’il en fait  est tout à fait poignant. Néanmoins je ne saisis pas la façon dont il l’intègre à l’intrigue. Janis évoque, une première fois, sa volonté de retrouver la fosse commune de son arrière-grand-père au tout début du film. On retrouve seulement cette thématique dans les quinze dernières minutes qui sont entièrement consacrées à la mémoire des victimes du franquisme. A part ces deux moments, la problématique de la mémoire est quasi inexistante. Il y a un sentiment d’inachevé et cela se retrouve tout le long du film. Là où les flashbacks avec Julieta et Douleur et Gloire étaient des microcosmes parfaitement autonomes, on sent que Madres Paralelas ne se suffit pas à lui-même. La force de Douleur et Gloire réside dans le fait qu’il touche à l’universel. Il aborde le sujet de la conscience et pousse le spectateur à devenir l’auteur de sa vie. Il y a un sentiment d’accomplissement qui se dégage de ce film. A l’inverse, la fin de Madres Paralelas laisse un goût d’inachevé. Les personnages ont certes évolué, mais le spectateur n’a pas l’impression de les accompagner dans leurs évolutions. La mise en scène est trop décousue au point de mettre en ellipse certains moments qui, à mon sens, étaient nécessaires de développer. La moralité de l’histoire reste floue.  

A ce travail mémoriel, Almodovar ajoute, en parallèle, l’histoire de deux mères liées par la naissance de leurs deux filles, le même jour, dans la maternité où elles partageaient une chambre. Toutes deux sont mères célibataires et, dans ce moment difficile, elles tissent un  lien profond. Almodovar dépeint cette amitié qui, je dois le concéder, est très touchante à ses débuts. La liberté de Janis couplée à l’audace d’Ana, l’autre protagoniste de l’histoire, une adolescente encore mineure, crève l’écran avec une force dramatique propre au cinéma d’Almodovar.  

[Attention spoiler] Le hasard se chargera de compliquer leur relation touchante puisqu’on va découvrir, au cours du film, que les bébés de Janis et Ana ont été échangés à la maternité. Scénario assez classique finalement puisqu’on peut le retrouver dans La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez ou encore dans Tel père, tel fils de Kore-Eda Hirokazu. Là où Almodovar innove, c’est lorsqu’on apprend que le bébé d’Ana, qui s’avère être le bébé de Janis, est mort.

Toute l’intrigue du film tourne autour du fait que Janis, interprétée par la magnifique Penélope Cruz, sait que son enfant n’est pas le sien. Ana, quant à elle, ne sait rien et reste persuadée que son bébé est décédé. A ce moment-là, je m’attendais à partir sur un drame psychologique qui se concentre sur le personnage de Janis, mère célibataire, déchirée entre la culpabilité et l’envie de garder ce bébé qui n’est pas le sien. Mais ce dilemme, à mon sens, ne prend jamais d’ampleur, il reste assez creux dans l’interprétation et secondaire. Almodóvar demeure toujours dans un entre-deux très frustrant. Le personnage de Janis a tout pour être bouleversant  mais les choix de mise en scène le rendent simplement creux voire détestable. Les personnages restent tristement hermétiques et donc parfois agaçants. 

Lorsqu’elle apprend, par exemple, à travers un test de maternité, qu’elle n’est pas la mère biologique de son bébé, on a le droit uniquement à un plan de 10 secondes sur son visage qui reste étrangement stoïque et directement après quelqu’un sonne à la porte. Janis se ressaisit immédiatement et va ouvrir mine de rien à son invité. Tout le film est construit ainsi. Tout du long, les personnages font face à des épreuves, des dilemmes et des révélations détonantes qui devraient laisser place à des moments forts en émotion. A la place, Almodovar fait systématiquement le choix de faire suivre ces moments forts par une scène qui casse le rythme et empêche le spectateur de se laisser emporter par l’émotion des personnages. Lorsqu’Ana apprend qu’elle est la mère biologique du bébé de Janis, la seule réaction qu’elle a est un vulgaire « Quoi ? ». Le spectateur est perdu au milieu de toutes les révélations qui se succèdent à une allure folle au point de devenir indifférent aux malheurs des personnages.

Almodóvar ne semble pas être parvenu à choisir entre le thriller détonnant ou le drame psychologique. Cet entre-deux de style rend les deux aspects du film assez ternes finalement. On alterne trop rapidement entre une scène de révélation et un moment d’émotion. Le personnage d’Ana, selon moi, en est l’exemple le plus frappant. Elle est dépeinte comme une adolescente à fleur de peau qui a des rapports compliqués avec sa mère. Au début du film, elle paraissait être un personnage assez complexe et un modèle d’émancipation. C’est paradoxalement en devenant mère qu’Ana devient quelqu’un, en quittant sa propre mère elle sort de sa léthargie. Mais, au milieu du film, on tombe malheureusement dans le cliché qui rend assez creux le rôle d’Ana. On a le droit à une scène lesbienne entre Janis et Ana qui n’apporte rien à l’intrigue. On finit par apprendre qu’elle est tombée enceinte après un viol collectif qu’elle a subi en soirée. Elle s’enfonce progressivement dans une jalousie maladive et capricieuse. Je trouve ces choix de scénario  dommage car ils sont trop peu développés pour être pertinents et ils simplifient trop le personnage d’Ana. Le film souffre toujours du même problème, à force de vouloir assommer le spectateur de révélations, il n’y a plus aucune subtilité ou sous-entendu. Le cinéma n’est-il pourtant pas l’art de montrer et non de dire ? Tout est exposé, jusqu’aux moindre détails inutiles. En essayant de traiter trop de sujets à la fois, Madres Paralelas amoindrit le moindre de ses thèmes.

Pedro Almodóvar voulait signer avec ce film une oeuvre intime liée à l’histoire de son pays mais, à mon sens, il n’y est pas parvenu. Il se perd dans une histoire de naissances, de morts et de quête de ses origines au point de tomber dans des clichés et des longueurs franchement évitables. L’effet énigmatique ne s’évapore pas et le film ne produit pas plus d’éclairage sur ce qu’il a à nous dire.

Almodóvar cherche à jouer dans Madres Paralelas avec la temporalité. L’obsession de Janis pour la fosse commune où est enterré son arrière-grand-père et la maternité représentent le passé et le futur des personnages. Tout au long du film, il y a un pseudo dilemme qui se dessine mais qui ne prend jamais l’importance qu’il devrait avoir. Se tourner vers son futur ou rester attaché à son passé, là devrait être le cœur de l’intrigue. Il devrait être question de douleur et de désir d’avenir. Pour cela, Almodóvar devrait montrer clairement qu’il faut affronter le passé, changer. Durant un court instant, Ana semble être l’élément déclencheur dans la vie de Janis. Elle parvient à lui faire lâcher prise au point d’entamer une relation amoureuse avec elle. Mais ce n’est qu’une parenthèse , et l’intrigue retombe sur la question d’échange de bébés. Almodovar semble parvenir plusieurs fois à toucher le cœur profond de l’intrigue, à développer une caractéristique pertinente d’un personnage avant de revenir à des péripéties insipides.

Encore une fois, si la presse spécialisée crie au génie et au chef d’œuvre, je suis, pour ma part, plus réservée. Je trouve les problématiques abordées inspirantes, mais Pedro Almodóvar l’est beaucoup moins. Il voulait honorer la mémoire des disparus et questionner le devoir de mémoire dans une Espagne encore profondément divisée sur ce sujet. L’entremêlement de péripéties, la maternité, l’amour entre les deux femmes et la mémoire offrent un résultat cinématographique assez confus et décevant car disparate. 

C’est un film dense comparable, par sa construction, aux poupées russes. Un sujet mène à un autre en permanence et cela m’a ôté toute émotion. C’est un film qui amène à la réflexion car il interroge sur les origines et qu’il dépeint des femmes libres et imparfaites mais je reste convaincue, qu’avec un scénario aussi puissant et une Penélope Cruz aussi charismatique, on aurait pu avoir un film bien plus poignant et hors norme.

Lise Amestoy