Dix-neuf ans à peine, première bombe, J’ai tué ma mère : Dolan scénariste, réalisateur et acteur fascine. Avec Tom à la ferme, Dolan renonce à ses amours premières, s’éloigne de la stylisation presque décorative et de l’extrême modernité de ses précédents films, et s’écarte pour la première fois de son propre personnage. Loin des couleurs de la ville des Amours Imaginaires, Tom nous plonge dans une campagne monochrome et désolée, un univers extraordinairement malfaisant, ambigu et poisseux, tout comme le sont la mise-en-scène et les relations entre les personnages.

L’histoire aurait pu être celle d’un drame plombant sur le deuil et l’homophobie. Celle d’un publicitaire venu à la campagne assister aux obsèques de son compagnon, et qui doit faire face à un espace de non culture en refus de toute compréhension du monde. Celle d’un homosexuel devant mentir et cacher son homosexualité à ceux qui ne peuvent l’entendre. Mais elle est bien plus que ça. Tom à la ferme concentre et fusionne virtuosement plusieurs genres et plusieurs registres : il est un balancement continuel entre sublime et grotesque, tension et hilarité. Alors que cette même histoire aurait pu être filmée à travers le prisme univoque du drame, elle nous est ici offerte avec distance et ironie : la scène du tango sous cocaïne, délirante, celle où Tom essuie sa bave après s’être assoupi, pathétique, et celle, merveilleusement burlesque, où il prend le temps de faire sa valise avant la fuite ultime. On peut même regretter que Dolan n’ait pas osé s’enfoncer encore plus profondément dans cette veine alternative.

La relation entre Tom et Francis, le frère de son amant défunt, en apparence rustre et intolérant, ajoute une dimension très physique, animale. Peu à peu, Tom devient dans cette famille l’enfant caché, inavouable et clandestin, qui prend la place et le corps de l’enfant mort. La ferme se transforme en un huis-clos angoissant, où Francis se fait bourreau et Tom victime. Francis laisse entrevoir de l’amour dans sa haine et tous deux se rapprochent et s’unissent en une relation sadomasochiste. Francis poursuit, frappe mais supplie Tom de rester. Tom, comme immédiatement touché par un syndrome de Stockholm, se fait lui-même prisonnier de ce calvaire, les images de campagne venant en permanence rappeler au spectateur que ce huis-clos n’en est en fait pas un, que cette prison est en réalité une cage ouverte et que Tom pourrait à tout moment s’en échapper.

Et c’est alors que le sublime fait surface. Tom parle de la vraie vie, de la boue et des bêtes qui ne mentent pas. D’un territoire initialement malveillant et haineux, la ferme devient un cocon d’authenticité, où l’on se souille du sang des veaux qui naissent et de la terre des champs labourés. Tom porte sur son dos le veau mort comme un manteau d’immunité contre la vie moderne. Il se frotte à la ferme et s’y éprouve, se décrasse en fusionnant avec cette réalité brute et archaïque et se libère finalement en un mouvement ultime.

On attend maintenant Mommy, à Cannes.

Clara Maléfique

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